Une niche 1 : montrer, créer

Laurence Vielle, La Scène, de Valère Novarina. Théâtre national de la Coline. 2003

Qui, au delà d’un cercle de passionnés, se souvient que Claude Bricage, que Nicolas Treatt étaient, il y a trente ans, des maîtres de la photographie de scène ? Pour ceux et celles qui achètent, impriment et exposent des images, et forment ainsi la culture du public, parler de grands portraitistes, de grands reporters photographes, de grands photographes de mode a du sens : la valeur de leur travail dépasse leur époque. Parler de grands photographes de théâtre, pas tellement. Sont-ils, d’ailleurs, les auteurs de leurs images, ou bien de simples témoins de la création des autres ? Réflexions sur une profession envoutante, et en quête de reconnaissance.

« La photographie de théâtre ose mettre en scène le théâtre lui-même ». Cette phrase de Claude Bricage, citée par Christophe Raynaud de Lage en exergue de son exposition à la Maison Jean Vilar, à l’occasion du dernier Festival d’Avignon, exprime parfaitement l’ambiguité de la position du photographe dans le théâtre : son point de vue est forcément personnel, hétérodoxe. Qu’il se regarde ou non comme un artiste (question récurrente dans l’esprit des photographes eux-mêmes, mais peu pertinente au théâtre, où, par définition, les artistes sont partout), il se démarque d’un collectif fortement structuré, la troupe, les techniciens, les responsables du théâtre, au sein duquel l’unique regard légitime ne saurait être que celui du metteur ou de la metteuse en scène. 

Or, le ou la photographe fait des choix et compose, à partir d’une bibliothèque infinie d’images vues et d’émotions vécues. Tout compte. Toutes ses expériences visuelles, qu’elles aient été agréables ou désagréables, conscientes ou inconscientes. La profondeur (ou bien la superficialité !) de cette imprégnation, la faculté de hiérarchiser ses propres représentations, par exemple le fait de ressentir de fortes affinités esthétiques avec des maîtres des arts graphiques, donnent du sens à cet ensemble, en fonction de la personnalité de chacun·e, et de sa capacité à s’exprimer. 

Comme cela a été mille fois souligné, la verticalité, voire la brutalité des rapports de pouvoir au théâtre est proportionnelle au prestige de la production et aux intérêts économiques en jeu. On part travailler avec un collectif de circaciens du Sud-Ouest d’un pas plus léger qu’avec un opéra national à Paris. Pour tout arranger, le photographe intervient, la plupart du temps, dans des conditions de fragilité généralisée pour toute l’équipe, juste avant la première. Sa venue est bien plus souvent considérée comme un mauvais moment à passer que sincèrement souhaitée. 

Que, malgré tout, la confiance s’établisse, et tout change. Les coopérations à long terme sont le sel de ce métier. Pour prendre les exemples les plus connus, les rencontres magiques et passionnées d’Agnès Varda avec le TNP de Vilar, de Martine Franck puis de Michèle Laurent avec le Théâtre du Soleil, de Claude Bricage avec Patrice Chéreau ont fait date. Elles ont ancré le parcours des intéressé·e·s dans l’histoire, et avec eux, le travail des acteurs et des actrices de leur troupe, et de nombre de leurs complices en création. Sans les photographes, il serait impossible de se représenter de façon cohérente le travail des Patrice Cauchetier, Richard Peduzzi, Guy-Claude François, Françoise Chevalier et des autres, sur le lequel les générations présentes construisent leur parcours. De même, l’identité, et, par voie de conséquence le récit que les grands théâtres et les grands festivals, à commencer par Avignon, livrent chaque saison à leur public, est étroitement lié à l’illustration. C’est à dire, majoritairement, à la contribution des photographes passés et présents… qui n’est, au bout du compte, pas étrangère aux performances de leur billeterie.

Avec quelques efforts d’aménité, tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes culturels, si les photographes de spectacle n’étaient pas confrontés à une précarité économique et sociale massive. J’y reviendrai dans un autre post.


Cet article se base sur le contexte français tel que je le connais. Je serais très heureux d’en apprendre plus sur les réalités dans d’autres pays, et d’engager une réflexion plus large


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *